Petits scandales entre Tokyoïtes
« Tu
vois la tour là-bas ? »
Tout en luttant
contre le roulis du métro tokyoïte, Emi, ma traductrice
favorite, pointe un bâtiment blanc et bleu. Même sans
lunette, impossible de le manquer, c'est dire s'il est gros.
« Il
y a quelques semaines, il s'y est déroulé
un fait divers qui a secoué tout Tokyo. »
« Ah
? »
« C'est
un peu glauque... comme histoire »
« Pas
grave... vas-y ! »
Le métro
s'arrête.
« Attends, faut qu'on descende là
! »
Nous nous frayons un chemin parmi la grappe de
passagers et nous retrouvons sur un quai désert. Face au quai,
des Japonais, assis peinards sur de petits tabourets, pêchent
dans des parcs à saumon. Derrière eux, un lac s'étend
à perte de vue. Etrange... trouver ça ici...
« Donc,
cette histoire glauque ? »
« En
fait, des piétons ont remarqué une silhouette étrange
accrochée au balcon. En regardant mieux, ils se sont aperçus
qu'il s'agissait d'un corps, sans vie. Neuf policiers sont montés
au pas de charge, ont défoncé la porte et ont trouvé,
là, debout au milieu de la pièce, un enfant, pieds nus,
en pyjama blanc ou quelque chose comme ça. L'enfant, 10 ans
peut-être, les a regardé, a décliné son
identité et a ajouté : « C'est
moi qui ai fait ça ». Il est alors sorti
de l'appartement en courant puis a disparu dans les couloirs. Et sur
le balcon, les policiers ont récupéré le corps
d'une instit, morte dans d'atroces souffrances. Malgré les
recherches engagées, l'enfant reste introuvable. Il
s'est comme volatilisé. Un scandale, neuf policiers qui
laissent filer un enfant... »
Très nippone cette histoire quand même... Du mystérieux, du glauque et une fin... absente. C'est pas pour rien que les Japonais sont les maîtres des films d'horreur. En face de moi, un pêcheur, plus chanceux que les flics nippons, vient d'attraper un gros saumon. Le train arrive. Nous montons et commençons à osciller au rythme du wagon. Un homme, agrippé à une poignée aérienne, dort debout. Derrière lui, apparaît l'énorme dôme du stade des sumos.
« Ah
! Y'a un autre scandale qui défraye la chronique en ce moment
! Une histoire de sumos justement... »
« Ah
oui? »
« Figure-toi
que le meilleur sumo du pays a menti ! »
Pour le coup, la
déclaration me laisse de marbre.
« ah... »
« Ecoute
ça : le champion nippon a refusé de participer à
une compétition internationale, prétextant un violent
mal de dos. Or, le jour du tournoi, des paparazzis l'ont surpris en
train de jouer au football ! »
Un sumo jouant au
football... Si c'est pas une scène cocasse, ça !
« Un
vrai scandale ! Il a dû faire des excuses publiques et la
Fédération l'a puni ! »
« Il
ne peut plus combattre ? »
« Pire
: interdiction de sortir de chez lui pendant deux mois ! »
Je ris. Comme un
ado pris la main dans le sac par ses parents... Un sumo coincé
à la maison parce qu'il a voulu jouer au foot.
Quelques heures
plus tard, Emi m'entraîne dans une librairie. « Faut
que je te montre un truc... » Elle s'arrête devant
une pile de magazine, en saisit un et me le met dans les mains. Sur
la couverture, un jeune homme, plutôt dévêtu,
sourit.
« C'est
un fameux joueur de baseball. Ouvre ! »
Je m'exécute,
pique un phare et ferme le magazine aussi sec.
« C'est
quoi ce canard ? ! »
« Un
magazine pour femmes... l'équivalent de playboy pour les
hommes. Vous avez pas ça en France ? »
« Non,
je crois pas... »
Je rouvre le
journal, par conscience professionnelle. Nos rugbymen hexagonaux
peuvent aller se rhabiller.
« Ces
photos - de lui donc, nu, et
dans des positions indescriptibles ici - ont fait un vrai
scandale. Sa copine en est devenue presque folle. Du coup,
maintenant, il est obligé de l'épouser... »
Dommage.