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Six mois au Japon

21 septembre 2007

Du sud au nord

Hier, je me réveillais dans le dortoir mixte 10 lits d'une petite auberge d'Hiroshima, ce soir et un vol d'avion plus tard, je me retrouve à l'autre bout du pays, au nord, sur l'île d'Hokkaido, dans un hôtel palace au bras de mon homme. La chambre fait deux étages, le lit, 2 mètres de largeur et la baignoire, des bulles. Paye le contraste. Bref, nous voici à Sapporo, la ville la plus européenne du Japon. Jérôme, comme 80% des physiciens du pays, y a été invité quelques jours pour assister à la conférence annuelle de la société de physique japonaise. Un grand moment de stimulation intellectuelle au cours duquel toute la crème de la physique nippone est venue présenter ses résultats... Autant dire qu'à la fin de la première journée, j'ai récupéré mon Jérôme, ou du moins ce qu'il en restait, anéanti.
« Alors, c'était bien ? »
« J'ai passé 7 heures à essayer de lire les hiraganas des transparents le plus vite possible. J'ai rien compris. De la présentation aux questions, tout était en japonais... J'ai fini par filer à la française avant la fin de la journée... mais bon, tu le diras pas, hein ? »
« Mais non, je serai muette comme une carpe... »

Elias, Giai, pour cette délation, j'accepte les chèques et les virements bancaires.

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19 septembre 2007

Hiroshima

tramwayAinsi donc, il y a une vie à Hiroshima. Et pas qu'un peu. La ville compte désormais plus d'un million d'habitants, un tramway au charme désuet et même un château de samouraï. Une ville nippone comme les autres... Du moins, si l'on fait abstraction de son coeur. Un immense parc verdoyant, entretenu en permanence par une petite cohorte de jardiniers, et que les le_dome_2habitants appellent le parc du mémorial de la paix. C'est ici, exactement là, que le 6 août 1945, à 8h15, « Little boy » a explosé, à quelque 500 mètres d'altitude. Sur la droite, de l'autre côté du fleuve, les ruines du palais du développement industriel – aujourd'hui appelé le Dôme de la Bombe A – témoigne encore de la violence de l'explosion : situé à l'aplomb de la déflagration, l'édifice est décharné ; son dôme de cuivre a fondu, laissant apparaître des armatures déformées. Classé patrimoine mondial par l'Unesco en 1996, ce bâtiment est désormais le symbole de la ville et de l'horreur engendrée par la bombe d'Hiroshima.

19 septembre 2007

L'essai scientifique

interieur_mus_eJe savais que le bombardement d'Hiroshima, puis celui de Nagasaki, avaient été plus ou moins considéré comme une expérience scientifique. Mais, à vrai dire, je n'imaginais pas à quel point cela avait pu être vrai. Tout d'abord, le choix des villes. Au printemps de l'année 1945, les Américains ont sélectionné 17 villes japonaises (dont Kyoto et Niigata) susceptibles « d'accueillir » Little boy. Sur quels critères ? Sur ceux d'un vrai protocole scientifique. La ville visée devait avoir un diamètre minimal de 4,8 kilomètres et ne pas avoir subi de bombardements antérieurs. Ce, afin d'observer les effets proximaux et distants de l'explosion d'une bombe atomique. Aussi, dès mai 1945, ordre a été donné de ne bombarder aucune de ces villes de la préliste, histoire de ne pas perturber l'expérience. Hiroshima a finalement été choisi parce que la ville ne possédait que peu de prisonniers alliés et qu'elle abritait la 5eme division de l'armée.

instrument_de_mesure_am_ricainEnsuite, pas d'expérience sans mesure. Ce 6 août 1945, les Américains ont envoyé non pas un bombardier sur Hiroshima mais trois : un pour la bombe, un pour prendre des images de l'explosion et un troisième pour balancer sur la ville des appareils de mesure. « Ces instruments ont été parachuté quelques minutes avant le largage de Little Boy, m'explique Yasuko, une bénévole avec qui j'ai sympathisé pendant la visite du musée du Mémorial pour la Paix. Leur chute étaient ralenti par trois parachutes immaculés. Du coup, ce sont ces objets que les habitants d'Hiroshima ont vu tombé du ciel. Little boy lui était invisible jusqu'à l'explosion. » Enfin, dernière petite subtilité, si à Hiroshima, les Américains ont lâché une bombe à uranium, à Nagasaki, ils ont testé une bombe à plutonium.

19 septembre 2007

Pourquoi la bombe d'Hiroshima ?

Pourquoi les Américains ont-ils lâché la bombe atomique sur Hiroshima ? Pour mettre un terme à la guerre ? Ce n'est pas la version japonaise. « En fait, ce qui nous empêchait de signer le traité de Postdam, c'est qu'à aucun moment dans ce document, il n'était fait mention du devenir de l'Empereur. Et c'était méconnaître la portée de ce symbole au Japon, explique Yasuko. Quoiqu'il en soit, ce point aurait sans doute pu être éclairci via des négociations ou un avertissement genre « Attention, nous avons la bombe atomique ! ». Quelque chose quoi... Mais non. Rien. Pas d'avertissement. Ils ont juste lâché leurs deux bombes sur notre pays. Pourquoi ? Pas pour finir cette guerre - même si les Japonais effectivement signé le traité en toute hâte le 14 août... Mais pour contenir l'influence grandissante de l'URSS ». Accessoirement, sans vouloir être cynique, j'imagine aussi qu'il tardait aux Américains de tester une arme qui leur avait coûté 2 milliards de dollars et impliqué 120 000 personnes outre-atlantique.

19 septembre 2007

Plongée dans l'horreur

avantLe 6 août 1945, 8:30 - « Little boy a atteint sa cible. Pas de réponse ennemie. Tout est normal. » Tout est normal. Tel fût le message adressé par l'un des pilotes de l'Enola Gay à sa hiérarchie. D'après le rapport américain qui s'ensuivit, l'explosion a engendré un nuage de cinq kilomètres de diamètre. Au point d'explosion, la température a excédé 4000°C. L'onde de choc (440 m/s) a détruit la grande majorité des bâtiments ; le reste a été consumé par les flammes.
Changeons de point de vue.

apr_sLe 6 août 1945, 8:00 – Takahashi Akihiro, 14 ans, vient d'entrer en classe. Il écoute vaguement son professeur remercier ses 40 élèves d'avoir contribuer à l'effort national en démolissant certains quartiers d'Hiroshima. Un travail harassant, surtout sous le soleil d'été nippon, et dont le but est de créer des part-feux salvateurs en cas de bombardements américains. Takahashi lance un regard complice à son ami. « C'est vrai que cela n'a pas été de la tarte... mais maintenant, on pourra prendre un peu de bon temps », se réjouit-il. Le cours commence. Il cherche de quoi écrire lorsque, soudain, un soleil rouge illumine le ciel.

Quand Takahashi ouvre à nouveau les yeux. Il fait sombre. Il est coincé sous son bureau et il a du mal à respirer. Le plafond s'est effondré.... Son bureau lui a sauvé la vie. Il appelle à l'aide et discerne quelques gémissements aux alentours. Dix personnes peut-être. Il crie le prénom de son ami. Pas de réponse. Il tente de s'extirper des décombres. Mais ses mains sont en lambeaux. Elles ont comme... fondues. Au loin, un de ses camarades commence à chanter l'hymne de l'école. « C'est pas idiot, si l'on fait du bruit, ils sauront qu'il y a des rescapés et ils nous trouverons plus vite ». Takahashi se met alors à chanter de toutes ses forces. Les dix autres enfants font de même. Les minutes s'égrènent. Ils ne sont bientôt plus que neuf à chanter. Huit. Sept. Pourquoi personne ne vient ? Six. Les voix s'éteignent les unes après les autres. Cinq. N'ont-ils pas vu que l'école s'était effondrée ? Une épaisse fumée atteint ses narines. Le bâtiment brûle. Quatre. Le bâtiment brûle ! Il faut sortir de là ou l'on va tous y rester ! Dans un effort surhumain et malgré la douleur, il parvient à se dégager. Chancelant, il avance dans ce qu'il reste de la classe. Son ami est à moitié enseveli sous une dalle. « Réveille-toi ». L'enfant ouvre les yeux. « Attends, je vais te sortir de là ». Il tente de soulever la dalle... mais rien à faire. « Va-t-en, l'école brûle ». « Non ». La fumée s'épaissit encore. Il ne distingue quasiment plus les traits de son ami. Il tente encore une fois de pousser la dalle. « Va-t-en ! » « Je sais même pas où se trouve la sortie ». « Suis le courant d'air... il t'emmènera vers la sortie ». « Non ! » crie-t-il en serrant son ami. « Non ! » Mais l'instinct de survie Les_survivantsest plus fort que sa volonté. A demi-mort, à demi-vivant, Takahashi rampe jusqu'à la sortie, en suivant le mouvement de la fumée. Un lent cheminement durant lequel il doit se dégager des autres enfants qui, encore conscients, l'appellent à l'aide et tentent de le retenir. Au bout de quelques minutes, il s'effondre dans la cour et s'évanouit. Quand il réouvre les yeux, l'école n'est plus qu'un brasier. Il revoit les visages de ses camarades suppliants. Il les avait tous laisser à leur sort. Ils avaient tous brûlé... vif... Il hurle, pleure... et réagit. Il fait nuit...  Pourquoi fait-il nuit ? Il se retourne et découvre, horrifié, qu'Hiroshima n'est plus.

A quelques mètres de lui, un enfant sanglote, recroquevillé sur lui-même. Takahashi le reconnaît : il l'avait déjà vu dans la cour ; il est plus jeune que lui, 10 ans peut-être. Takahashi le prend par la main, il veut l'emmener loin d'ici. Mais où ? Il n'y a plus rien. Dans la pénombre, il distingue des sortes de  fantômes. « Allons là-bas... ». Il fait quelques mètres et découvre la nature de ces ombres. Des hommes hallucinées creusent la terre, poussent les débris, et hurlent le nom des leurs. Plus loin, des corps titubent. Leur peau n'est plus. Elle est aussi déchiquetée comme leur vêtement. Plus loin, des femmes en plein délire, torse nue, hurlent. L'une d'entre elle a un oeil sorti de son orbite.

« Maison... il faut que j'aille à la maison » se murmure Takahashi à lui-même. Machinalement, il avance vers le fleuve. Il pleut ? Une pluie noire ? Takahashi se réfugie sous un abris de fortune et sert l'enfant contre lui. Au bout de quelques minutes, l'averse cesse. enfant_dans_m_morialLe ciel a retrouvé une vague couleur de ciel. Ils se remettent en route. Mais, rapidement, l'enfant ne peut marcher. Il n'a pas de chaussures et la plante de ses pieds a comme fondu. Takahashi l'aide comme il peut mais n'a pas la force de le porter. Près du fleuve, une armée d'ombres chemine. Des survivants. Certains pleurent en avançant, d'autres se jettent dans le fleuve pour calmer leur brûlure. Aucun d'eux ne connaît les effets pervers de la radioactivité. Au loin, Takahashi reconnaît la stature de son oncle. L'homme le recueillera tous les deux. L'enfant de 10 ans, ne survivra pas plus de trois jours.

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19 septembre 2007

La voix des hibakusha

l_ombre_d_un_homme_qui_attendait_dehors_l_ouverture_de_la_banqueFin 1945, on dénombrait 140 000 morts à Hiroshima. Certains ont péris pendant l'explosion, d'autres au cours d'incendies, d'autres ont succombé quelques jours ou quelques mois après le bombardement. Le parti-pris du musée du mémorial de la paix est de montrer le plus fidèlement possible les conséquences de ce bombardement sur les habitants d'Hiroshima. L'horreur, dans toute sa réalité et son absurdité. ongles_vacularis_sY sont exposées les vêtements calcinées des habitants, les gourdes d'enfant déformées par la chaleur, les ombres noires laissées sur les murs par les hommes et femmes qui ce matin-là attendaient l'ouverture d'une banque, les ongles que les rescapés ont perdu en tentant de retrouver les leurs parmi les décombres, les cheveux que les enfants ont perdu et que les mères ont gardé, les ongles vascularisés (ils saignent lorsqu'ils cassent) que certaines personnes ont développé suite aux radiations, les photos et les explications concernant les cancers de la langue, de la peau ou du sang qui sont apparus chez les personnes irradiées, les microcéphalées que les enfants nés après le bombardement ont présentées... Le tout assorti d'anecdotes toutes plus atroces les unes que les autres.

L'ensemble est si insoutenable que le touriste, après avoir parcouru une distance plus ou moins grande dans le musée, finit par se braquer et courir prendre l'air dehors. Pour ma part, j'ai atteint ma limite devant le tricycle calciné d'un enfant qui jouait dans le jardin au moment du bombardement (par contre, là, je vous passe l'anecdote). Sur le coup, j'ai ôté mes écouteurs, et j'ai parcouru la fin du musée au pas de course, des oeillères sur les yeux. Je serais sortie si Yasuko ne m'avait pas rattrapé : « Viviane, t'as traversé la moitié du pays pour entendre ces témoignages alors maintenant, écoute-les ! ». le_dome_et_l_archeC'est vrai. J'ai donc rebroussé chemin et j'ai continué à regarder les objets, et à écouter les récits et les mots des survivants. Je ne suis pas prête d'oublier ça. Et même, à cause ou grâce aux mots de Yasuko, j'ai prolongé la visite au passant quelques heures au mémorial pour les victimes de la bombe d'Hiroshima. Là, dans une pièce immaculée et remplie d'ordinateur, il est possible de visionner les témoignages des hibakusha, les survivants de la bombe atomique. C'est dans cet endroit que j'ai vu Takahashi raconter son histoire. Je ne sais pas trop pourquoi j'ai choisi de vous raconter celui-là parmi tous les témoignages que j'ai pu entendre. Peut-être l'intonation de sa voix, son visage rondouillard et peut-être parce que malgré son infirmité à la main droite, il est parvenu à dessiner chaque scène de son expérience.

Comme Takahashi, ils sont des centaines de milliers à avoir survécu au bombardement, et donc des centaines de milliers à avoir témoigné de l'horreur de cette arme. Mais aujourd'hui, 62 ans plus tard, leur récit et « leur mise en garde aux générations futures » résonne dans le vide. Sur les trois heures passée dans cette pièce accessible gratuitement, nul autre personne n'est entrée. La cinquantaine d'ordinateurs disposés là, sont restés en veille et leurs écouteurs, accrochés à leur crochet. Sur certains, une fine couche de poussière commence même à apparaître.

Jusqu'à récemment, le premier ministre japonais recevait chaque année les hibakusha pour écouter leur récit. En 2004, il a néanmoins mis un terme à cette tradition. Malgré leur grand âge, les derniers hibakusha, eux, continuent toujours à sillonner le pays pour témoigner de l'atrocité de cette bombe et à militer en faveur de l'éradication des armes nucléaires. Mais à l'heure où le Japon rêve à nouveau d'une grande armée, qu'adviendra-t-il du message des hibakusha quand le dernier d'entre eux aura disparu ?

19 septembre 2007

M. Le maire

tetes_nucl_airesA l'entrée du musée du mémorial pour la paix, deux pans de mur sont tapissés de télégramme. Il s'agit des messages que le maire d'Hiroshima envoie aux nations nucléarisées à chaque fois qu'un nouvel essai nucléaire est perpétré. Un geste si inutile qu'il prêterait presque à sourire. « Une fois, quand j'étais plus jeune, explique Yasuko, j'ai assisté à une sorte de conférence de presse et une journaliste étrangère a demandé au maire pourquoi il s'obstinait à envoyer de tels courriers.
« C'est le moins que je puisse faire. Je suis le maire d'Hiroshima. »
« Mais vous vous rendez bien compte que cela ne sert à rien... c'est un peu naïf comme geste. »
« Ce qui est naïf, Mademoiselle, c'est que vous soyez persuadés que ces armes, détenues par vos états, n'exploseront jamais... »
« Vous savez, elles ont surtout une fonction dissuasive. »
la_flamme_de_la_paix
« Comme toutes les armes... »
« Mais nul n'osera utiliser ces bombes... »
« Vous dites ça au maire d'Hiroshima ? » »

Dans le parc du mémorial de la paix, les habitants d'Hiroshima ont allumé une flamme - la flamme  de la paix - qu'ils n''éteindront que le jour où toutes les armes nucléaires auront été éradiquées. Autant dire que ce n'est pas pour demain. 

19 septembre 2007

Les grues de Sadako

Les_grues_de_papierSadako avait deux ans au moment du bombardement. Elle a grandi sans encombre jusqu'à l'âge de 10 ans puis développa une leucémie. Reste que la petite fille ne voulait pas mourir. Elle se mit donc à plier du papier. D'après une vieille légende nippone, si l'on parvient à fabriquer mille grues en papier (symbole de longévité et de bonheur), son souhait le plus cher se réalise. Sadako plia autant qu'elle put mais succomba à la maladie avant de finir son ouvrage. Ses camarades de classe réalisèrent alors les pliages manquants. le_monument_aux_enfantsCe geste déclencha une vive émotion dans le pays et un peu partout, des enfants se mirent à plier des grues pour les envoyer à Hiroshima. Cette vague de pliage continue toujours aujourd'hui et les grues sont exposées à proximité du mémorial des enfants.

En 2005 (ou 2003, je ne sais plus), une partie de ces grues est partie en fumée. Un étudiant en colère les a brûlé pour protester contre le manque de débouchés après l'université. Un geste incongru mais qui prend une certaine signification lorsque, le soir venu, on assiste à la longue procession des sans-abris qui viennent chercher refuge la nuit dans le parc du mémorial de la paix.

19 septembre 2007

Hiroshima, mon amour

parc_hiroshimaEn milieu de journée, j'ai décidé de faire une pause dans le parc. Un banc libre. Je m'installe.
« Tu veux un café ? » Un jeune homme vient de s'asseoir.
« Euh, non, j'ai de l'eau, merci. »
Le jeune homme fouille dans son sac. « Un gâteau ? »
« Euh , non, j'ai déjà des mikados » Je lui montre mon paquet.
« Du café alors? »
« Non, merci, vraiment... »
« Je travaille tu sais ! »
« Ah ! »
« J'ai un bon travail à la poste. »
« Ah, c'est bien ça. »

Silence.

« Tu veux un gâteau ? »
« Non, merci. »

Silence.

« America ?jardiniers_au_travail »
« Non, Française »
« Ah, Catherine « Deunev' » ! »
« Oui, Catherine Deneuve... »

Silence.

« Tu sais, ils sont bons mes gâteaux »
« Je n'en doute pas »

Silence.

« Etudiante ? »
« Non, journaliste. »
« A la télé ? »
« Non. »

Silence.

« C'est dommage... Tu pourrais ! Clin d'oeil. Allez, je t'offre le paquet de gâteaux si tu veux ! Tu vois, il est pas ouvert !»
« Non. Merci »
« Pff. Alors prends la canette de café ! »
« Non ! C'est bon. J'ai pas faim, j'ai pas soif ! ». Je retiens le « laisse moi tranquille » in extremis.

Silence. Il regarde ses chaussures.

« Mariée ? »
« Un truc comme ça oui... »
« Comment ça ? T'es mariée ou pas ? »
Est-ce que je lui explique les subtilités du pacs ? Non... peut-être pas.
« Oui, je suis mariée »
« Ah... et t'as des enfants ? »
« Non »
« Alors, c'est pas trop tard. Moi, je suis libre si tu veux ! » Il ouvre la canette de café et me la tend.
« Non merci. »
« Pour le café ou pour moi ? »
Cette fois, il est temps de se carapater. Je le salue et me lève.
« Attends, file moi au moins ton numéro de téléphone »
« J'en ai pas ! »

le_d_meQuelques minutes plus tard, je recroise le même jeune homme, canette à la main et paquet de gâteaux ouvert, accroché aux bask' d'une autre demoiselle. Il se marre discrètement en me montrant la jeune fille en train de mâchouiller ses gâteaux. Clin d'oeil. Il ne perd pas le nord lui. Je décide de m'approcher du Dôme de la bombe A.

« Impressionnant, hein ? »
Un homme, 30 ans, vient de se poster à ma droite. Il se redresse, adopte une allure digne et prend un air rêveur.
« Oui, impressionnant. »
« Américaine ? »
« Française. »
« Oh, Mademoiselle, enchinté de zou encontrer! »
Je ris.
« Hajimemashite »
« Tu as passé une bonne partie de la journée à prendre des photos. Tu es photographe ? »
« Hein ? Euh, non, juste journaliste, mais là, je suis en vacances »
« Tu restes longtemps ? »
« Non, je pars demain. »
« On va manger un truc vite fait avant que tu partes ? »
« Hein ? Non merci. »
« Mariée ? »
« Oui. »
« Alors juste une photo, au cas où tu deviennes célèbre ! » Sur ce, il attrape deux touristes japonais, leur donne son appareil photo, se poste derrière moi, me prends par les épaules, colle sa joue sur la mienne et balance un « smile! ». Clic. J'ai juste eu le temps de sourire bêtement. L'un des touristes demande en Japonais « C'est ta femme ? »
« Hai ! » rétorque-t-il, tout fier de lui.
« Ie! Tu dis n'importe quoi  ! ». Il rit et me colle une carte de visite dans la main.
« Au cas où tu changes d'avis pour le resto ! »

Ok ok, quittons ce lieu. J'ouvre mon guide et décide d'aller jeter un coup d'oeil au château d'Hiroshima.chateau_2

A l'intérieur, une animation toute farcie d'hologramme explique l'histoire du château. Je m'approche. Un jeune homme me tend un casque et me fait signe de m'asseoir. Ah, c'est la traduction en anglais. Je m'installe. Lui, prend un casque et s'assoit à côté. Le voilà maintenant qui gigote. Il cherche un truc dans son sac et brandit, en vainqueur, un paquet de bonbons. Il l'ouvre  et le place, bien en évidence, sous mon nez. Mais qu'est-ce qu'ils ont tous à vouloir me faire manger ! Je refuse de la tête et me concentre sur la voix. Il insiste. Raz-le-bol. Je pose le casque et m'en vais.
« Attends ! Regarde, j'ai le casque ! Je parle anglais! ».
M'en fous. Je grimpe deux étages et change d'adresse chaque fois qu'il fait mine de s'approcher. Je vous passe la suite. Au final, en un après-midi, six galants m'ont proposé de quoi boulotter. Du jamais vu au Japon.

l_arbre_qui_a_surv_cu___la_bombe_Bon, pourquoi je vous raconte tout ça ? Un, parce que ce type de comportement est plutôt rare au Japon, deux, parce que malgré son passé sinistre, Hiroshima est aujourd'hui l'une des villes les plus chaleureuses, ouvertes, vivantes et drôles que j'ai pu visiter. Une ville du sud (ah le soleil), une vraie, avec ses badauds, ses dragueurs du dimanche, des amoureux, ses adolescentes en fleur et ses tenancières de bar, qu'un rien amuse. De quoi tordre le cou à une rumeur qui a circulé juste après le bombardement : plus rien ne poussera à Hiroshima pendant les 75 prochaines années. En fait, dès l'automne 1945, des « mauvaises » herbes sont sortis des décombres. Des bouts de vie insignifiants qui, comme on aime le raconter à Hiroshima, ont donné aux survivants la force nécessaire pour reconstruire leur ville et leur vie.

17 septembre 2007

Dernière destination ?

Contrairement à celui de Jérôme, mon visa (touristique) ne me permet pas de rester plus de trois mois au Japon. D'ici 15 jours donc, nous sortirons du territoire nippon avec, pour moi, l'espoir d'être à nouveau acceptée par les douaniers japonais. Une chance sur deux, d'après l'ambassade de France ; 90% de chance d'après les Japonais. On verra.

En attendant, c'est un peu le temps du bilan. Si d'aventure, je suis reconduite, bon gré, mal gré, à la frontière française, qu'est-ce que je ne me pardonnerai pas de ne pas avoir vu... Le mont Fuji ?  Les îles du sud ? Un combat de sumos ? Hiroshima ? Hiroshima... La seule ville au monde que je n'arrive pas à imaginer : malgré d'incommensurables efforts, cette cité ne m'apparaît que dévastée. C'est décidé donc, j'utilise mes trois derniers jours de liberté (avant Hokkaido et la Corée) pour aller voir Hiroshima.

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