En milieu de journée,
j'ai décidé de faire une pause dans le parc. Un banc
libre. Je m'installe.
« Tu veux
un café ? » Un jeune homme vient de s'asseoir.
« Euh,
non, j'ai de l'eau, merci. »
Le jeune homme fouille
dans son sac. « Un gâteau ? »
« Euh
, non, j'ai déjà des mikados »
Je lui montre mon paquet.
« Du café
alors? »
« Non,
merci, vraiment... »
« Je
travaille tu sais ! »
« Ah ! »
« J'ai un
bon travail à la poste. »
« Ah,
c'est bien ça. »
Silence.
« Tu veux
un gâteau ? »
« Non,
merci. »
Silence.
« America
? »
« Non,
Française »
« Ah,
Catherine « Deunev' » ! »
« Oui,
Catherine Deneuve... »
Silence.
« Tu
sais, ils sont bons mes gâteaux »
« Je n'en
doute pas »
Silence.
« Etudiante
? »
« Non,
journaliste. »
« A la
télé ? »
« Non. »
Silence.
« C'est
dommage... Tu pourrais ! Clin d'oeil. Allez, je t'offre le
paquet de gâteaux si tu veux ! Tu vois, il est pas ouvert !»
« Non.
Merci »
« Pff.
Alors prends la canette de café ! »
« Non !
C'est bon. J'ai pas faim, j'ai pas soif ! ». Je
retiens le « laisse moi tranquille » in
extremis.
Silence. Il regarde ses
chaussures.
« Mariée
? »
« Un truc
comme ça oui... »
« Comment
ça ? T'es mariée ou pas ? »
Est-ce que je lui
explique les subtilités du pacs ? Non... peut-être pas.
« Oui, je
suis mariée »
« Ah...
et t'as des enfants ? »
« Non »
« Alors,
c'est pas trop tard. Moi, je suis libre si tu veux ! »
Il ouvre la canette de café et me la tend.
« Non
merci. »
« Pour le
café ou pour moi ? »
Cette fois, il est
temps de se carapater. Je le salue et me lève.
« Attends,
file moi au moins ton numéro de téléphone »
« J'en ai
pas ! »
Quelques minutes plus
tard, je recroise le même jeune homme, canette à la main
et paquet de gâteaux ouvert, accroché aux bask' d'une
autre demoiselle. Il se marre discrètement en me montrant la
jeune fille en train de mâchouiller ses gâteaux. Clin
d'oeil. Il ne perd pas le nord lui. Je décide de m'approcher
du Dôme de la bombe A.
« Impressionnant,
hein ? »
Un homme, 30 ans, vient
de se poster à ma droite. Il se redresse, adopte une allure
digne et prend un air rêveur.
« Oui,
impressionnant. »
« Américaine
? »
« Française. »
« Oh,
Mademoiselle, enchinté de zou encontrer! »
Je ris.
« Hajimemashite »
« Tu as
passé une bonne partie de la journée à prendre
des photos. Tu es photographe ? »
« Hein ?
Euh, non, juste journaliste, mais là, je suis en vacances »
« Tu
restes longtemps ? »
« Non, je
pars demain. »
« On va
manger un truc vite fait avant que tu partes ? »
« Hein ?
Non merci. »
« Mariée
? »
« Oui. »
« Alors
juste une photo, au cas où tu deviennes célèbre
! » Sur ce, il attrape deux touristes japonais, leur
donne son appareil photo, se poste derrière moi, me prends par
les épaules, colle sa joue sur la mienne et balance un
« smile! ». Clic. J'ai juste eu le temps de
sourire bêtement. L'un des touristes demande en Japonais
« C'est ta femme ? »
« Hai ! »
rétorque-t-il, tout fier de lui.
« Ie! Tu
dis n'importe quoi ! ». Il rit et me colle une carte
de visite dans la main.
« Au cas
où tu changes d'avis pour le resto ! »
Ok ok, quittons ce
lieu. J'ouvre mon guide et décide d'aller jeter un coup d'oeil
au château d'Hiroshima.
A l'intérieur,
une animation toute farcie d'hologramme explique l'histoire du
château. Je m'approche. Un jeune homme me tend un casque et me
fait signe de m'asseoir. Ah, c'est la traduction en anglais. Je
m'installe. Lui, prend un casque et s'assoit à côté.
Le voilà maintenant qui gigote. Il cherche un truc dans son
sac et brandit, en vainqueur, un paquet de bonbons. Il l'ouvre et le
place, bien en évidence, sous mon nez. Mais qu'est-ce qu'ils
ont tous à vouloir me faire manger ! Je refuse de la tête
et me concentre sur la voix. Il insiste. Raz-le-bol. Je pose le
casque et m'en vais.
« Attends
! Regarde, j'ai le casque ! Je parle anglais! ».
M'en fous. Je grimpe
deux étages et change d'adresse chaque fois qu'il fait mine de
s'approcher. Je vous passe la suite. Au final, en un après-midi,
six galants m'ont proposé de quoi boulotter. Du jamais vu au
Japon.
Bon, pourquoi je vous
raconte tout ça ? Un, parce que ce type de comportement est
plutôt rare au Japon, deux, parce que malgré son passé
sinistre, Hiroshima est aujourd'hui l'une des villes les plus
chaleureuses, ouvertes, vivantes et drôles que j'ai pu visiter.
Une ville du sud (ah le soleil), une vraie, avec ses badauds, ses
dragueurs du dimanche, des amoureux, ses adolescentes en fleur et ses
tenancières de bar, qu'un rien amuse. De quoi tordre le cou à
une rumeur qui a circulé juste après le bombardement :
plus rien ne poussera à Hiroshima pendant les 75 prochaines
années. En fait, dès l'automne 1945, des « mauvaises »
herbes sont sortis des décombres. Des bouts de vie
insignifiants qui, comme on aime le raconter à Hiroshima, ont
donné aux survivants la force nécessaire pour
reconstruire leur ville et leur vie.