De la Lune sur la Terre
Voilà,
nous y sommes : les pieds sur une terre blanchâtre, la tête
dans les vapeurs de soufre. Le onsen à ciel ouvert de Tamagawa. Autour de
nous, des Japonais emmitouflés dans des serviettes dorment en
profitant de l'air local.
« Eh,
mais ça sent vraiment trop mauvais ! On peut pas dormir là
quand même ! »
Ouais,
effectivement.
« Allons
tout de même voir s'ils ont des chambres. »
Nous
entrons dans une énorme bâtisse. Ambiance maison de
retraite. Au fond du hall, trois vieux hommes, en pyjama pantoufle,
lorgnent, bouche ouverte, un poste de télévision.
« Des
chambres ? Oui, on en a. Par contre, on sert les repas à 18h
pétantes. »
Regards
entre Français.
« On
va réfléchir un peu... »
« Ok.
mais jetez tout de même un coup d'oeil sur notre brochure ! »
Effectivement,
les onsens intérieurs, tout en bois, version « old
generation », sont plutôt sympas. Mais bon, sur
papier glacé, il n'y a pas l'odeur, ça aide à
convaincre. Un troupeau de personnes âgées passe. Très
lentement.
« On
file ? »
Hochement de tête. On file.
Avant
tout de même, on déambule un moment entre les fumerolles
du onsen. Le lieu est impressionnant et ses vapeurs si épaisses
qu'elles sont visibles de la route. A coté des résurgences
d'eau acide, des Japonais lézardent. Plus loin, d'autres
trempent leurs pieds dans d'archaïques baignoires en bois.
L'ensemble a un petit côté camp de réfugiés
ou plutôt sanatorium. Derrière une petite colline,
Philippe discute avec un jeune couple.
« Ils
cuisent leurs patates douces dans une fumerolle ! C'est pas dingue ça
! ». Si,
Philippe, c'est dingue. Le petit couple nous offre une patate
soufrée... Totemo oishii desu ! (délicieux) Affables,
les deux Japonais nous questionnent :
« Vous
venez d'Afrique ? » Décidément, je ne
comprendrais jamais rien aux Japonais.
Anna s'approche : « J'ai la tête qui tourne... ». Oui, moi aussi. Les vapeurs de soufre peut-être. Comment font-ils pour rester là ? Devant nous, deux personnes âgées plantent un parasol, s'allongent et piquent un somme. Plus loin, un homme en costume cravate discute avec trois ombres. Avançons. Les ruisseaux passent du gris au jaune, puis à l'orange et au vert. De temps à autre, les fumerolles crachent d'épais plumeaux de fumée blanche. Le soleil rend le sol aveuglant. Des momies dorment alignées dans la poussière. Une femme porte un sac sur ses pieds. Hein ? ! Avec les pieds ? Mais qu'est-ce qui nous arrive là ? J'ignore la propriété de ces vapeurs mais sur nous, elles ont un effet bizarre... On ferait mieux de filer pour de bon.
Anna trottine vers la voiture. Elle a plusieurs brochettes d'ananas dans les mains. Cool : elle partage. Le goût sucré du fruit annihile l'âpreté du soufre. Ca va mieux. D'où cette question : se pourrait-il que l'ananas soit l'antidote du soufre ?
voir album photo "Boucle nord Tamagawa"