Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Six mois au Japon
18 août 2007

Sado, l'île qui fait trembler la Terre

"Allons à Sado ce we, pour le festival de musique dont Mike nous a parlé." Pourquoi pas. Ouverture de l'atlas nippon. Sado, Sado... Voilà. Une île située au nord ouest du Japon, au large de Niigata... Niigata ? Mais c'est pas l'épicentre du séisme de juillet ?! "Tu es certain qu'ils ont maintenu leur festival ? " Coup d'oeil sur internet : "Ah oui, apparemment oui. La "earth celebration" (la fête de la terre) du 17 au 19. Cette année, le thème de la manifestation est « Tataku », "battre le rythme". Que des percussions au programme : 1_bateaudes nippones, des portoricaines, des indiennes et même des guyanaises. Bon, ok, allons voir Sado alors !" Une fête de la terre à 30 kilomètres de l'épicentre du gros séisme de juillet, cela ne peut être qu'étonnant ! Voici comment vendredi vers midi, nous nous sommes retrouvés à voguer, en compagnie de Mike et de Renu - deux professeurs de l'université d'Aizu - vers cette île isolée.

48_barque_traditionnelle___moteurSado... Même sous la pluie, ce bout de terre est magnifique, sauvage, vallonné, parfois bordé d'immenses plages blondes, parfois plus ténébreux avec d'imposantes falaises dentelées, d'un noir profond. La traverser, c'est sillonner les rizières, parcourir de petits villages traditionnels ou entrapercevoir d'anciennes mines d'or. Un petit paradis qui, hormis quelques vitres cassées ici et là, a bien résisté aux hoquets terrestres.

Après quelques minutes de route, nous garons notre véhicule à Ogi, le centre névralgique du festival et accessoirement, un petit port de pêche sympatoche pris d'assaut par une nuée de stands et de 33_lutinhippies nippons. C'est idiot mais j'avais jamais pensé qu'il pouvait y avoir un mouvement baba au Japon. "Pas le temps de rêvasser , Viv ! Faut qu'on retire nos places !" me lance Mike. "Ah ? Mais on a déjà nos billets !". "Oui mais ici, ca suffit pas !". "Ah?". "Faut retirer nos emplacements avec nos billets !". "Mais le concert a lieu en extérieur,  on sera assis sur une pelouse !". "Bah oui, mais ca change rien." "Ah bon." 

3_danseuse_d_un_jourNous voici donc partis vers lesite d'échange de billet : un impressionnant  temple shintô, recyclé pour le we en lieu de danse et de vente. A proximité du bâtiment principal, une vingtaine de jeunes aux habits multicolores tapent des pieds sur une estrade trempée. Ils rient et tentent de vivre le rythme des tambours. Le ton est donné. Ce soir, nous assisterons au concert de Kodô, un groupe de taiko (percu japonaise) originaire de l'île et qui semble être à l'initiative de la "earth celebration". Une soirée entière de taiko... J'ai beau être curieuse,  je peux pas m'empêcher de penser que deux heures trente de tambours haletants, c'est peut-être un peu trop pour moi. Passons.

"On est green yellow... C'est pas terrible." Mike fait la moue. 4_green_yellowA vrai dire, je ne cerne toujours pas le problème. Sur du gazon, on peut s'asseoir n'importe où si l'on arrive assez tôt ! Eh bien non, pas au Japon. Je ne l'ai compris qu'ensuite, lorsqu'à 17 h, nous sommes retournés sur place. Dans le parc, des pancartes colorées avait  germé un peu partout. Et derrière elles, des Japonais attendaient. Mais pas n'importe comment, à la nippone, c'est-à-dire parfaitement alignés. Le collectivisme à l'oeuvre, aucun clou en dehors des clous... Bref.

Coup d'oeil sur les billets, coup d'oeil sur les panneaux, les green yellow doivent attendre à coté du temple. A peine arrivé, Mike se jette sur un couple de Japonais en sachet - comprendre intégralement recouverts d'un plastique étanche. "Quels numéros vous avez ? 52 ? 23 ? Ok, on a des quarantes, on doit attendre là dans la file." Houlà. Je m'attendais quand même pas à un tel niveau de précision. Une voix nasillarde appelle la file des "purple". Ils avancent. Les "green yellow" sont priés d'attendre. Impossible de filouter : l'accès à la scène est contrôlé par un rang de poinsonneurs concentrés sur la couleur des tickets. C'est maintenant au tour des blue, des yellow, des black, des red, des green... des purple blue, des yellow gold, des black red... Eh, mais ils ont inventé combien de couleurs comme ca ?!

In fine, nous franchissons la barricade humaine en bons avant-derniers. Mais derrière, point de scène. Juste un chemin abrupt, cerné de bambous et tapissé de pierres rendues glissantes par la pluie. Une sorte de sentier de pélerin, si pentu qu'il tue dans l'oeuf toute volonté de hâter le pas pour coiffer au poteau nos prédécesseurs. rrr. Ce pays va-t-il finir par nous enseigner la patience ? 

Après 10 minutes d'une marche "cadence de vieillard", nous accédons enfin à la scène. Et dans un état si zen que, pas une minute, il ne nous est venu à l'esprit de courir pour nous infiltrer, l'air de rien, 52_en_attendant_le_deuxi_me_concertdans les quartiers des black red. Nous nous asseyons à l'endroit prévu, entre les 30 et 50 des green yellow. Les Japonais, toujours à la pointe en matière d'organisation, s'installent sur d'immenses couvertures en plastique et déballent leur bento (petit repas portatif). Normal, bientôt 18h... l'heure du repas ici.

Au micro, une jeune femme fait une annonce. Une quête va avoir lieu au profit des sinistrés du séisme de Niigata. Si, à Sado, ce tremblement n'a laissé que peu de stigmates, dans la région, il a fait 10 morts, 1000 blessés, détruit plus de 400 habitations et causé de nombreux dégâts sur les infrastructures. Un bilan bien lourd pour un événement complétement inattendu. En 2004, un tremblement de terre quasi identique avait déjà ébranlé la région. Du coup, les savants, toujours aussi savants, avaient affirmé qu'il existait moins de 2% de "chance" pour qu'un tel séisme se reproduise à Niigata d'ici trente ans. Trois années auront suffi pour leur donner tort. Les voies telluriques demeurent impénétrables.

7_un_des_membres_de_KodoMais revenons à Sado. Comme indiqué par la voix, les membres de Kodô, ainsi qu'une tripotée d'autres personnages étranges, envahissent l'assemblée pour récolter quelques deniers nippons. Une quête rapide, terminée par un acte symbolique : un personnage sombre, incarnant la mort, s'instal8_le_personnage_de_la_mort_lors_de_la_quete_organis_e_avant_le_concertle au milieu de la foule et commence à frapper de toutes ses forces sur un tambour rouge sang. Un martellement agressif, cru, qui laisse soudain place à un silence pesant. Un calme étrange brisé par le son lointain d'un autre tambour, invisible celui-ci. Un homme s'avance sur scène. Il joue. A son tambour, un autre répond. Une femme apparait, puis un homme. Ils sont une quinzaine à entrer ainsi sur scène. Et à mesure que leur nombre grossit, le son de leur tambour mêlé s'intensifie. Le sol commence à vibrer. La foule s'agite, crie, rie. Une libération qui marque le début d'un concert hallucinant, qui s'est pas retenu de rendre à la terre chacune de ses secousses. Allez, un peu de son pour que vous puissiez vous rendre compte du truc.

extrait_kodo

Une heure vingt plus tard, les lumières se rallument. Quoi, la pause, déjà ? Comme toutes les Japonaises de l'assemblée semble-t-il, je bondis vers les toilettes. Ah les femmes... Zut, pas assez rapide. Patience, patience, patience, patience... Voilà. Ca va être mon tour... Rezut, une fille avec la jambe dans le plâtre. "Je vous en prie, après vous". Rrr. Saleté de politesse. Deux minutes plus tard, je retrouve la jeune fille à béquilles. Elle souhaite se laver les mains. Mais pas facile lorsqu'on est platré jusqu'à la cuisse et que pour faire couler de l'eau, il faut actionner une pédale. Je lui prête mon pied. Elle me remercie en anglais. Ah ? "Que vous est-il arrivé?" La jeune fille, 16 ans peut-être, répond : "un pan de mur m'est tombé dessus pendant le séisme", "Oh" "Depuis, j'ai peur de sortir. Mon père m'a à moitié forcé à venir ici pour que je vois Kodô. Il pense que cela me redonnera du courage." "Et tu crois que ca va marcher ?" Sourire "Peut-être bien...". Une voix nasillarde rappelle la foule. Je reprends mon pied et retourne m'asseoir.

15_une_membre_de_KodoSur la scène, un tambour de deux mètres de diamètre attend. Il repose sur le flanc, en hauteur, porté par d'énormes poutres de bois. Vingt musiciens entrent sur scène. Ils frappent leur tambour comme un seul homme. Sous ce rythme tribal, un homme puissant, torse nu, string nippon à la sumo, s'avance. Il saisit d'énormes baguettes blanches et s'approche du colosse de peau et de bois. Il tourne le dos à la foule, fléchit les jambes pour s'ancrer au sol puis lève les bras. Ses mains atteignent à peine le centre du tambour. Il recule un bras et frappe une fois. L'onde de choc est si puissante, que l'assemblée a un mouvement de recul. Il recommence, frappe encore et encore. Un battement de coeur lent, profond, puissant, 58_danseurqui perce les corps. La sensation est juste indescriptible. L'homme accélère la cadence. Il tape maintenant de toutes ses forces, comme s'il cherchait à crever le tambour. Plus tendu que le cuir qu'il attaque, il bataille contre le retour inévitable de la peau.  Il crie de douleur, mais continue jusqu'à l'épuisement total. Une sorte de Don Quichotte face à ses moulins. Evidemment, le combat qu'il mène est absurde, perdu d'avance, mais qui s'en soucie puisque la lutte, elle, est magnifique. Un peu comme celle, un peu vaine, que les Japonais mènent contre leur propre sol. Peut-être était-ce cela que ce père voulait montrer à sa fille.  "Viv, tu veux une bière ?!" "Euh... ouais!"

Ah oui, j'oubliais : en Japonais, Kodô signifie "pulsation de coeur". Maintenant vous savez pourquoi ils ont choisi ce nom.

Publicité
Commentaires
Six mois au Japon
Publicité
Six mois au Japon
Publicité