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Six mois au Japon
16 août 2007

Fête des esprits

19o_bon_lanternesLe peuple japonais est un peuple croyant... mais plutôt large d'esprit en la matière. Du coup, quitte à croire, autant cumuler les religions. 90% des Japonais sont en fait à la fois bouddhistes, shintoistes (même chrétiens en certaines occasions) et, surtout, tout pétris de superstitions (dont les grigris et autres talismans magiques sont les émanations). Un cocktail spirituel plutôt surprenant que l'on peut voir à l'oeuvre dans les temples, les chapelles ou lors les grandes manifestations religieuses. Dans cette veine, mi-août, nous avons fêté notre premier O-bon, la fête des ancêtres. D'après cette tradition bouddhiste, une fois par an, les esprits des défunts viennent visiter leur famille. Les Japonais allument alors des lanternes pour guider leurs aieux en leur demeure, nettoient les autels de prière, font des offrandes et vivent une petite semaine en communion avec leurs ancêtres. A la fin de cette fête, ils rallument les mêmes lanternes et les déposent sur un cour d'eau pour raccompagner les défunts dans le monde des morts. Reste qu'à cause de la pollution que cette pratique engendrait sur les fleuves, rivières et autres cours d'eau nippons, cette dernière coutume a été plus ou moins interdite : les lanternes sont désormais confiés aux moines qui, par leur prière, sont chargés de ramener ces gentils fantômes au bercaille. Pas banal comme sacerdoce...

Bref. Tout ca pour dire que la fête des ancêtres est liée à l'eau. Et qui dit eau au Japon, dit source d'eau chaude et donc onsen (ces bains publiques où l'on peut patoger dans de l'eau volcanique). Et voilà comment j'en arrive aux festivités organisées par les onsens d'Aizu pour le o-bon. Au début de la semaine, l'un des Russes de l'université nous a conjuré de passer une soirée aux onsens de l'est d'Aizu. "Il y a des animations organisées cette semaine !". NB : à l'époque, nous ignorions tout de l'existence de la fête des ancêtres.

1o_bon_scene_sur_l_eauObéissants, un soir, nous nous sommes donc mis en route vers les montagnes de l'est. Et après avoir serpenté bien 15 minutes dans les lancets si étroits de ce quartier d'altitude, nous avons trouvé, en contre-bas, un parking assailli par un nombre conséquent de voitures. Autre signe : trois Japonais en costume fluo, drapeaux à la main, nous ont à moitié barré la route pour que nous nous garions. Une fois sortis de voiture, l'air un peu idiot au milieu de ce parking dénué de toute indication, nous avons suivi une petite famille affublée d'un autre type de costume, traditionnel celui-ci. Comme eux, nous avons attendu cinq minutes au bord d'une route ; comme eux, nous avons grimpé dans un mini-bus, sans savoir où il irait ; comme eux, nous nous sommes assis l'air de rien et comme eux, nous sommes descendus sur une place noire, où des lupiottes, disposées le long d'une route descendante guidaient des vivants. A cet instant, j'ai repensé à la phrase d'un ami qui avait passé 3 ans à Tokyo. "Tu verras, le Japon, c'est facile à vivre. Tout est très bien indiqué. Et quand ca l'est pas, tu fais comme eux et ca passe nickel !". Bah oui, Didier, t'as raison. Y'a qu'à les imiter !

3o_bon_joueurs_de_taiko_2Le chemin de lumière menait à une scène étincellante, construite sur pillotis, au-dessus d'un cour d'eau paisible. Là, en hauteur, devant une foule de badauds, une quinzaine d'hommes et de femmes en costume noir et blanc, frappaient de toutes leurs forces des tambours gigantesques. C'est ainsi que nous avons découvert le taiko ("tambour" en japonais), une musique tribale que l'on croirait tout droit sortie d'Afrique noire. De quoi dépoussiérer sérieusement l'image que nous nous faisions de la culture musicale nipponne.

8o_bon_vendeuse_banane_au_chocolatLe plus beau restait à venir... Et pourtant, c'était mal parti, car après les fièvreux joueurs de taiko, c'est une chanteuse glaciale de Nô qui s'est emparée de l'estrade. Après avoir écouter quelques mesures de sa mélodie lancinante et nasillarde, nous étions sur le point de nous expatrier vers les vendeurs de nouilles et de 13o_bon_geishas_4bananes au chocolat, lorsque des geishas sont apparues. Et pas une, pas deux, pas trois, non, une trentaine de geishas drapées d'un costume immaculé fendaient la foule en dansant comme un seul être. Alignées, synchronisées, elles entamaient le tour de l'estrade. D'un coup, la plainte de chanteuse Nô a, comme qui dirait, pris une toute autre dimension. Insupportable toujours mais soudain plus étrange, un poil féérique. 12o_bon_geishas_3Résultat : adieu bananes au chocolat et autres pâtisseries au thé vert, nous sommes restés là, à fixer ces apparitions. Dans la traîne de ces êtres un peu irréels, les Japonais, des vieux, des bambins et des mamans, se sont alignés pour reproduire, à la cadence des geishas, les mêmes gestes. Par contre, toute à mon appareil photo (dont l'autofocus a rendu l'âme à cause du climat nippon : bravo Canon!) et à ces magnifiques geishas, je ne me suis aperçue du démarrage de cette procession hétéroclite qu'au bout 15o_bon_maitre_de_dansedu deuxième tour, lorsqu'un vieux Japonais à l'oeil rilleur est venu me chercher pour entrer dans la danse. Un homme influent apparemment puisqu'il est allé chercher la porteuse de lampion - la femme qui ouvrait la procession des geishas - pour qu'elle m'apprenne à danser. Ainsi encadrée, j'ai fait bien cinq mètres en crabe maladroit entre deux professeurs concentrés sur mes pieds et mains avant d'abondonner. Le vieil homme, au sourire inébranlable, m'a rattrapé in extremis par le poignet pour me faire passer devant sur une jeune femme aux bras emplis de victuailles. Là, il a parlementé deux minutes avant de me tendre, tout fier de lui, un paquet de gateaux et une limonade. Bougre ! J'ai failli rater le ravitaillement ! Heureux de son fait, l'homme m'a salué avant de reprendre sa danse. Ce que je n'ai compris qu'ensuite, c'est que le maître de cérémonie pour cette danse lancinante, c'était lui.

17o_bon_johnny_deppLe temps de refiler la limonade et les gateaux à mon homme, je repartais prendre une photo d'un sosie de Jonnhy Deep en costume traditionnnel (ca se rate pas quand même...). Et à mon retour, j'ai retrouvé mon jérôme hilare, trempé des pieds à la tête, sa bouteille de limonade à la main, les trois quarts vide. "J'arrivais pas à ouvrir la bouteille. Une japonaise m'a expliqué comme faire : il faut taper un grand coup sec sur le goulot pour faire descendre la bille qui tient lieu de bouchon. Elle m'a donné un petit mouchoir pour pas que je me fasse mal.  J'ai fait comme elle a dit mais le truc m'a à moitié explosé dans les mains ! " (Gloups, j'ai couru avec la bouteille dans la poche) "j'ai eclaboussé tout le monde... et lui ai rendu son mouchoir dégoulinant." Et oui, certains esprits sont farceurs.

16o_bon_portrait_geishaLa procession, elle, a dû se prolonger tard dans la nuit. Nous sommes partis au bout d'une heure, alors que les Japonais continuaient à tourner, entre transe et prière, autour de l'estrade. Toujours au rythme de la même mélodie de la chanteuse de Nô. Vu de loin, cette lente procession ressemblait à une ronde de fantômes. Comme si les esprits de leurs aïeux étaient bel et bien là, parmi eux, en train d'accompagner le moindre de leur geste. Pour un occidental, qui a l'habitude de laisser les morts dormir dans des cimetières placés bien à l'écart de nos vies, ce temps mort offert aux défunts par les vivants a, sur le coup, eu un je ne sais quoi d'enviable.

Voir album photo O-bon

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